We'll always be there for each other (Sullivan)

« We'll always be there for each other. » @Sullivan Morgan

« Une chose est sûre, ça va te changer de ton motel ! » Je m’exclame, amusée, alors que je gare la voiture devant la villa que j’occupe depuis maintenant deux ans. Je me sens presque gênée d’avoir conduit Sullivan dans le plus beau et le plus riche quartier de Portland. Je me souviens qu’à une époque, qui me semble maintenant lointaine, on plaisantait souvent sur qui allait se dévouer pour régler la dernière tournée, compte tenu du maigre salaire que touchent les flics de ce pays. Et voilà qu’aujourd’hui, mon compte en banque en ferait pâlir un certain nombre. Pourtant, je sais que mon meilleur ami est loin de me juger pour ça. Non seulement il me connaît pratiquement par cœur, mais en plus il sait que tout ce que j’ai obtenu ici s’est fait à la sueur de mon front. Après la perte de Lincoln et de notre bébé, je me suis jetée corps et âme dans mon nouveau métier. Quelque part, c’est cette implacable douleur qui m’a permis de devenir celle que je suis aujourd’hui. Et qui, par conséquent, m’a donné l’occasion d’acquérir un logement dont je ne pouvais que rêver quelques années plus tôt encore.

Sulli récupère ses affaires dans le coffre et je le guide devant la porte d’entrée, que je m’empresse de déverrouiller. Un miaulement appuyé nous accueille alors que le chef de cette humble demeure nous accueille. Je lui adresse une caresse puis invite Sulli à me suivre au bout du couloir. « Ta chambre est prête. Avec vue sur la baie de Casco, évidemment, » j’ajoute avec un sourire. Je n’avais pas choisi n’importe quelle maison. J’étais, sans doute, l’exception qui confirmait la règle indiquant que les cordonniers étaient toujours les plus mal chaussés. « Si tu veux que je te laisse t’installer… » Peut-être Sullivan avait-il envie – ou besoin – d’un moment seul ? Dans le doute, je préfère lui proposer une alternative. « Sinon, j’ai des bières au frais, la terrasse n’attend plus que nous. » Je sais qu’en ce moment, il ne va pas bien, et c’est normal. Je sais aussi qu’il a tendance à boire un peu trop. Mais ce n’est pas en lui interdisant notre boisson rafraîchissante habituelle que je vais arriver à le sortir du gouffre. Pour l’heure, je n’espère qu’une seule chose : que cette colocation lui soit bénéfique, et qu’elle m’aide à le relever…

« We'll always be there for each other. » @Sullivan Morgan

« Lara, je voulais te dire… » Je sais, Sulli. Je sais ce que tu veux me dire, parce que je peux lire en toi comme dans un livre ouvert et ce, depuis qu’on a l’âge de s’enfiler ces fichues bières qu’on affectionne tout particulièrement. Malgré cette pensée, je garde le silence, attendant les prochains mots. Je pense qu’il a autant besoin de les prononcer que moi de les entendre. Oh, pas pour ce qu’ils signifient au sens littéral. Entre nous, les remerciements sont devenus presque superflus. Un regard suffit désormais. Et encore, la plupart du temps, on le sait. On sait que l’autre est reconnaissant sans même qu’il ne l’exprime. « Merci… Merci pour tout ce que tu fais. » Voilà. C’est dit. L’espace d’un court instant, j’ai l’impression de retrouver le vrai Sullivan. Mon Sullivan. Celui qui me faisait enrager une seconde et rire la seconde suivante. Celui qui me racontait tout et à qui je pouvais me confier même à quatre heures du matin. Ou encore celui qui était toujours partant pour profiter de la vie, sortir, déconner. Tout simplement, celui qui était vivant.

Depuis la mort d'Emma, il n’est plus le même, il est renfermé, il est solitaire, secret, et ça fait mal. Parce que je sais ce qu’il traverse. Je comprends plus que quiconque. Et j’aurais préféré qu’il ne vive jamais une telle épreuve. C’est bête, mais je pleure Emma autant que je pleure Sulli. Pourtant, je sais qu’on n’est pas tous égaux face au deuil, seulement je dois admettre que je ne m’attendais pas à ça. A le regarder s’autodétruire. Je te laisserai pas faire. Jamais. C’est ce que je me suis dit en lui proposant de venir vivre avec moi la première fois. Bien sûr, il a refusé. Alors j’ai insisté. Et aujourd’hui, je gagne enfin, prête à déployer toutes mes armes contre la noirceur qui entoure son cœur.

J’ai envie de lui répondre. Je voudrais pouvoir lui dire que je serai toujours là pour lui, même s’il le sait déjà, mais ça reste coincé dans ma gorge nouée. Alors à la place, je fais un pas dans sa direction pour réduire à néant la distance qui nous sépare et je le serre dans mes bras. Je me fais violence pour ne pas craquer. Vite, il faut passer à autre chose. Mes yeux brillent quand ils plongent dans les siens, même si mon sourire se veut enthousiaste. « On va la boire, cette bière ? »

« We'll always be there for each other. » @Sullivan Morgan

Je ravale mes larmes aussi courageusement que possible et guide Sullivan hors de la chambre, direction la grande pièce de vie où se trouve la cuisine. J’essaie tant bien que mal de ne pas faire cas de cette étreinte bien trop froide de sa part, de sa « nouvelle colocation à fêter » bien trop neutre, dénuée de tout sourire. Je ne lui en veux pas. Je ne pourrai jamais lui en vouloir. Même si nous avons fait face différemment à cette même tragédie, j’ai moi aussi connu cette période où je me suis sentie incapable d’exprimer la moindre émotion positive. Comme si un voile sombre m’avait enveloppée tout entière et tenue éloignée de tout ce qui aurait pu m’aider à m’en sortir. J’avais fini par le déchirer, par m’en débarrasser, grâce à mes proches. Aujourd’hui, je nourris l’espoir que celui de Sulli soit juste un peu plus difficile à anéantir. Et je me fais la promesse d’être celle qui signera sa fin, peu importe le temps que ça prendra.

Je récupère nos bières du frigo et je m’installe à ses côtés, sur les tabourets servant de séparation entre la cuisine et le salon – salle à manger. Je tique légèrement lorsqu’il se sert de son briquet pour décapsuler nos bouteilles. Je sais qu’il a recommencé à fumer, mais ça me fait quelque chose à chaque fois. Si je devais voir un autre bon côté à notre colocation, je me dis que ça lui servira peut-être à ralentir la clope. Car ici, il fera bien attention à être en extérieur quand il aura envie de s’en allumer une, et il ne devait pas avoir autant de considération pour sa chambre au motel…

« Alors, à notre colocation. » J’essaie d’être un peu plus enthousiaste, et j’accompagne mes mots d’un sourire discret. Je peine à mettre de côté les circonstances de cet emménagement. Je lève ma bière, il vient la cogner de la sienne, et chacun s’occupe à boire sa première gorgée. L’atmosphère est plus pesante que lors de notre arrivée. J’aimerais lui parler d’Emma mais je n’ose pas. Pas encore. Alors, j’évoque le seul autre sujet qui me vient à l’esprit : son nouveau boulot ici, à Portland. « Comment ça se passe au commissariat ? Tu commences à prendre tes repères ? Au fait, tu ne m’as pas parlé de ton coéquipier – ou coéquipière, ça se passe bien ? » Cela faisait quelques semaines maintenant que Sulli bossait pour la police de la ville, et on n’avait pas vraiment eu l’occasion d’en discuter ensemble. Avec tristesse, je ne peux m’empêcher de me dire que de toute façon, on n’avait pas vraiment parlé de grand-chose.

« We'll always be there for each other. » @Sullivan Morgan

J’esquisse un sourire à la fois amusé et compatissant quand il m’avoue à demi-mots que cette nouvelle affectation n’est pas des plus simples. Sans parler du deuil auquel il doit faire face tout en remplissant ses fonctions d’inspecteur, il est clair que la police de New York et celle de Portland n’ont pas grand-chose en commun. Là-bas, il y a tellement de commissariats et de divisions différentes qu’on peut s’y perdre. Des meurtres, parfois bien sordides, doivent être résolus tous les jours. Des réseaux doivent aussi être démantelés presque quotidiennement. Ici, c’est en effet plus calme : à peine soixante-dix mille habitants contre neuf millions à NYC. Le calcul concernant les forces de police et leurs missions potentielles est donc vite fait.

« Je comprends. Mais… Je pense que pour le moment, c’est une bonne chose pour toi. »

J’espère ne pas le froisser. Je crois que ce n’est pas le cas, mais comment en être sûre ? Ce Sullivan-là est tellement différent de celui que j’ai toujours connu. Pour autant, hors de question pour moi de lui mentir : je suis sa plus proche amie, et en tant que telle, c’est mon rôle de me montrer sincère en toutes circonstances. Je hausse finalement les épaules. Les mots qui suivent me font un peu mal, mais je n’ai pas non plus envie de jouer les égoïstes.

« Si vraiment ça ne marche pas, tu pourras toujours demander une nouvelle affectation dans une autre grande ville, où tu feras majoritairement autre chose que régler des disputes de couple ou enquêter sur la disparition du chat de la voisine. »

J’ai l’air taquin, mais dans le fond, j’espère qu’il tombera amoureux de cet endroit et qu’il décidera d’y rester. En attendant, il n’a vraiment pas l’air d’apprécier nos autorités, qu’il qualifie d’incompétentes. L’un de ses collègues aurait failli enfermer un innocent sur l’unique base des preuves qui étaient contre lui. Cette fois, mon sourire prend un air nostalgique. Je me rappelle qu’on formait un sacré duo lui et moi, à l’époque. On se comprenait, on était toujours sur la même longueur d’onde. On se complétait, aussi. Et j’aimais particulièrement sa capacité à analyser, à toujours lire entre les lignes plutôt qu’accepter les évidences trop faciles...

« Mais heureusement, tu étais là pour rectifier le tir. » Du moins je le suppose. « Tu vois, tu leur es déjà indispensable. » Je reprends une gorgée de ma bière et j’ai soudain une illumination.  « Dis-moi, t’aurais pas rencontré un certain Asher Holbrook par hasard ? »

« We'll always be there for each other. » @Sullivan Morgan

Sullivan contre aussitôt mes mots et je comprends qu’il n’a pas saisi leur sens réel. Bien sûr que je ne veux pas qu’il reste sans rien faire. Dans une telle situation, peu de gens le pourraient. A sa place, quatre ans plus tôt, moi aussi j’ai choisi de me noyer dans mon nouveau travail pour faire taire la douleur, ne serait-ce que temporairement. J’ai envie de lui répondre qu’il se méprend et que, pour moi, il est simplement plus sain qu’il ne soit pas en train de gérer de grosses affaires de meurtres, gangs et tout ce qui s’en suit. Le but n’est pas qu’il ne travaille pas, mais qu’il s’éloigne de tout ce qui pourrait lui faire penser aux circonstances de la mort d’Emma. Même si son boulot lui inspire moins de passion depuis qu’il est arrivé à Portland, je reste persuadée que c’est ce qui lui faut pour l’instant. Je décide pourtant de garder le silence. Il est encore trop tôt et la plaie est encore bien trop ouverte pour qu’il soit d’accord avec moi. Je n’ai qu’à prendre mon mal en patience : un jour, il aura assez de recul pour comprendre.

Je ne peux m’empêcher de rire en pensant à la tête que le capitaine de police a certainement faite face à l’insubordination de sa nouvelle recrue. Ce n’est pas le premier que Sulli fâche, et ce ne sera sans doute pas le dernier. Mais au moins, la vérité a été rétablie et même s’il ne l’avouera pas sous la torture, son supérieur saura le reconnaître comme un flic intègre. En tout cas, je l’espère. « T’es un habitué des engueulades, maintenant, je suis sûre que ça ne t’a même pas fait frémir. » Je lui lance un regard espiègle avant de reboire un coup.

C’est là que la lumière s’allume dans mon cerveau, et Sulli a tôt fait de confirmer ma pensée : Ash et lui ne se sont pas rencontrés, mais c’est prévu car ils vont devenir coéquipiers. Je tombe presque des nues face à cette nouvelle. « Si je le connais ? Tu m’étonnes, c’est l’un de mes amis d’enfance ! Je t’en avais jamais parlé parce qu’on s’était perdus de vue après le lycée, mais on s’est retrouvés par hasard quand je suis revenue vivre ici. » Soudain, une nouvelle lumière dans ma tête. Un peu moins sympathique que la précédente. Fébrile, je lance. « Et… tu sais qui est sa compagne ? » Moi qui n’avais jamais cru aux coïncidences jusque-là, j’étais maintenant bien obligée de changer d’avis…

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Le monde est en effet petit. J’aurais pu mentionner Ash à Sulli par le passé mais je ne l’ai jamais fait : Asher et moi avons coupé les ponts peu avant ma rencontre avec celui qui deviendrait mon premier coéquipier. Sur le moment, il n’y avait donc aucune raison pour que j’évoque cet ami d’enfance qui avait fini par me briser le cœur. Puis, quand j’ai à nouveau croisé le chemin d’Asher, Sullivan était loin et même si on se téléphonait très souvent, je parlais de « mes amis » sans vraiment donner de noms, ces derniers n’étant, de toute façon, que des inconnus à ses yeux. Au final, j’ai moi-même appris qui était réellement la compagne d’Asher qu’une poignée de semaines plus tôt. Je ne voulais pas perturber Sullivan avec ça, surtout compte tenu de la situation actuelle de Reeva, mais maintenant que je sais qu’il va côtoyer Ash quotidiennement et de manière assez proche, je me dois de le préparer.

Il n’a aucune idée de ce qui l’attend. Il plaisante en évoquant la fille du capitaine et je retiens avec peine la réflexion qui me brûle les lèvres : j’aurais préféré. La vérité est tellement plus compliquée que je ne pense même pas à sourire à sa vanne. J’hésite à lâcher cette bombe, j’ai peur de sa réaction, surtout qu’il n’est plus lui-même. Mais je n’ai pas le choix. Si je garde ça pour moi et s’il apprend que je le savais, il m’en voudra. Et il aura raison. « Je sais que ça va te sembler improbable mais… La compagne d’Ash, c’est Reeva. » Inutile d’ajouter son nom, ou sa relation avec Emma. Sulli fera forcément le lien, même si les deux sœurs Marshall n’avaient jamais été proches. En revanche, je décide de ne pas mentionner son amnésie actuelle. Cela ne me regarde pas et je laisse le soin à Asher d’en parler à son nouveau collègue de travail ou non.

Comme si son cerveau avait besoin de temps pour remonter cette information assez déstabilisante, Sulli m’informe – ou plutôt, m’ordonne vivement – de ne jamais le réveiller en pleine nuit. Je fronce les sourcils, prête à lui demander pourquoi, avant de me raviser. Le nouveau Sullivan n’aime pas être poussé dans ses retranchements. Il se tournera vers moi quand il l’aura décidé. Docile, j’acquiesce avant de le prévenir des escapades nocturnes de notre autre colocataire. « C’est noté. Par contre, n’oublie pas de fermer la porte de ta chambre, Dex aime bien se promener la nuit. »