euphémoisme. (dadiver)

Il paraît que la vie est plus clémente au bord de l'eau, plus douce également. Un effet d'optique, sans doute, ou psychique. L'humidité, le soleil qui s'réfléchit sur la surface claire.. ça donne l'impression d'se reposer quand, tout autour ne fait que raisonner en un fracas monstrueux. Il marche, les mains dans les poches, il a fini sa journée. Il choisit souvent d'faire un tour par ici, à observer parfois son reflet dans l'eau transparente. Il n'sourit rarement, il n'écoute pas même la musique sur son téléphone.. lui, il possède un discman, c'est ancien, c'est rétro, c'est vintage mais c'est pas un délire d'gamin nostalgique. C'est juste cette impression permanente qui ne le quitte pas, celle d'être né une époque en r'tard. Il aurait voulu être l'enfant des années d'or, des années quatre-vingt ou même quatre-vingt-dix. Il aurait voulu connaître l'apogée des vieux vinyles, des nouveaux cd. Il aurait voulu vivre le changement d'siècle et en être conscient, pas n'avoir qu'à peine deux ans quand la moitié de la population prédisait la fin du monde. Il aurait voulu vivre alors, quand on parlait, qu'on communiquait. Le like a tué l'être humain en même temps que les stories.. il frappe un caillou du pied, c'est dans sa nature de penser ainsi, toujours en décalage, toujours en marge. Et puis, il lève les yeux. Sa silhouette se dégage du soleil et il sourit, Dad. Il sourit toujours quand il le voit. D'une tendresse presque infinie, inconsciente. Comme s'ils se comprenaient avant même de se parler. Il lève la main, doucement, timidement.

T'as eut une journée de merde. Ouais, parce qu'en vrai depuis que ta mère elle a débarqué en ville ce n'est plus pareil. Il semblerait qu'elle se soit sentie seule, que tu lui ais manqué. Tu n'as pas de la misère à le croire, t'es son fils, son seul enfant. Par contre, c'est triste à dire mais elle ne t'a pas manqué à toi. T'as besoin de vivre ta vie, t'as besoin d'être libre. Alors qu'avec elle c'est toujours pareil. Son rôle de mère est omniprésent. Elle ne se cesse de te couver - de vouloir te protéger. L'histoire c'est que tu n'as pas besoin de ça. Tu n'as pas besoin de sa pitié - tu n'as tout simplement pas besoin d'elle pour avancer. Après tout t'es ce petit oiseau qui a prit son envol y'a sept ans de ça. Liverpool c'est du passé, tout comme cet accident. Ça ne fait peut-être pas plus de deux ans, mais t'as réussis à passer à autre ou presque. Y'a cette blessure à la jambe qui t'fais encore mal de chien, surtout quand l'humidité s'en mêle.Tu souffres en silence puisque parler de ton mal n'arrange pas les choses. Par contre, ces cachets qu'ils t'ont prescris. Eux ils te font planer, eux ils te font du bien, mais ils t'ont aussi rendu dépendant. Si tu les avais arrêtés lorsque c'était le moment, tu n'aurais pas besoin d'eux encore aujourd'hui ! Tu sors donc de ce café, que t'aime bien. Ce café où tu travailles avant de te rendre à la plage. C'est là que tu pourras enfin faire le vide, que tu pourras avoir la paix. Ton portable tu l'éteins. Jamais tu ne fais ça, mais là tout de suite la dernière chose que tu veux c'est que ta mère te téléphone. Elle te reprochera l'état de ton appartement, le fait que tu ne sois pas, que tu ne t'occupes pas d'elle - tu en as marre. Si elle pouvait retourner en Europe ça t'arrangerais. Tu peux sentir cette brise que dégage la mer sur ta peau, tu fermes les yeux et prends une grande inspiration avant de retirer tes chaussures et glisser tes pieds dans le sable. Tu t'avances doucement puis le vois plus loin, la main en l'air. Tu souris et fait de même. Une fois tout près de lui tu n'arrives pas à décrocher ce sourire de tes lèvres. Ce que tu peux être bête. Tu souris mais t'as la rage au fond de toi. C'est fou comment il peut avoir cet effet apaisant sur toi sans même t'avoir adressé la parole. Tu t'sens bien, trop bien. « Il était temps que cette journée se termine, j'te jure ça été de la merde toute la journée .. J'te dis pas en plus comment je suis content d'être là. J'ai enfin la paix. » Tu continues de sourire puis glisses ta main libre dans les poches de ton jeans troué. « .. tu l'croiras pas mais j'ai fermé mon portable histoire de ne pas être dérangé .. j'en peux plus d'elle. » Tu laisses retomber tes chaussures puis tires sur sa main pour qu'il s'assoie dans le sable tout comme toi. « .. désolé je me suis laissé emporter. J'ai oublié de te demander, toi ça va ? » Lui demandes-tu finalement en le regardant et souriant bêtement.

C'est instinctif, naturel, évident même. Sans équivoque aucune, sans sous-entendu non plus, c'est juste deux âmes qui se retrouvent, qui ne se perdent jamais vraiment. Deux morceaux d'un même puzzle qui se pose délicatement sur la table et qui s'complète, parfaitement. Chaque fois qu'ils se retrouvent, c'est un sourire qu'ils partagent sans même se poser d'questions. Et Dad, il est ravi.. toujours. C'est rare d'le voir s'étirer dans un sourire si sincère, surtout ces derniers jours. Mais quand Olivander s'dessine au loin, c'est comme si son corps tout entier répondait à un besoin attractif qu'il n'aurait plus ressenti depuis des lustres. L'envie d'être, d'exister, d'rire un peu au fond, d's'amuser et d'se laisser aller. Alors doucement, docilement, il lève la main et attend. Il sait très bien que leur retrouvaille se passe d'mots, d'bonjour à la con ou d'ça va bateau. Pas b'soin d'se dire ces choses-là quand on semble se connaître par coeur. Il était temps que cette journée se termine, j'te jure ça été de la merde toute la journée .. J'te dis pas en plus comment je suis content d'être là. J'ai enfin la paix. Dad il sourit, il peut pas s'en empêcher. La voix d'Olivander qui s'pose sur lui comme l'écume sur la plage. C'est un son doux, presque enivrant. Le voilà qui enlève ses chaussures, lui aussi. Il imite son ami sans s'poser d'questions. .. tu l'croiras pas mais j'ai fermé mon portable histoire de ne pas être dérangé .. j'en peux plus d'elle. Dad il sait d'qui il parle, il sait toujours. T'as plus b'soin d'ton portable maintenant. On est tous les deux. Il s'entend lui dire, comme s'il estimait pouvoir suffire à c'garçon qui lui fait face. Comme s'ils pouvaient tout surmonter, n'étant qu'une seule et même personne. L'évidence qui vous foudroie, sans même avoir besoin d'l'exprimer. .. désolé je me suis laissé emporter. J'ai oublié de te demander, toi ça va ? Il sourit, Dad. Il secoue le visage sans rougir. Si t'as b'soin, tu sais que j'suis là. Il pose sa main sur son épaule, un geste réconfortant, animé d'une sincérité toute propre et nouvelle, comme Oliv' sait toujours le provoquer. J'avais b'soin d'venir marcher un peu ici. La boutique était presque trop vide ce matin, c'en est déprimant d'voir à quel point les gens s'contentent d'écouter des playlist téléchargées sur leur téléphone plutôt que d'se laisser entraîner par le bon vieux son des années quatre-vingt.. Il sait qu'il a l'air dépassé quand il parle, un peu marginalisé. Mais Dad, il se sent pas à sa place dans l'enfer technologique de ces dernières années. On va jusqu'à l'eau ? Il demande en souriant, bêtement.

Les gens oublient vite de communiquer lorsqu’ils ont un smartphone dans les mains. C’est sans doute pour ça que Dad en est resté coincé aux vieux téléphones. Lui, il ne peut que prendre des appels et répondre aux messages. Généralement, on se moque de lui mais ça n’dure jamais bien long quand il s’contente de répondre par un sourire dédaigneux. T'as raison. lui souffle Oliv’ en souriant. Ils sont ensemble, désormais. Et ça peut paraître con, mais Dad s’en délecte déjà. Il a toujours été là pour son ami, même s’ils n’ont pas grand-chose en commun, finalement.. l’un est jovial, l’autre morne. Comme si le temps et la désillusion avait coulé sur Dad pour n’en faire qu’un pantin monochrome. Je sais et c'est pour ça que je suis ici aussi. Il sourit faiblement, il le sait mais ne l’dira pas. Il n’aime pas compter sur les gens, même si les gens ne sont pas Oliv’ et qu’Oliv’ ne sera jamais comme les autres.
Quand il lui demande comment se passent ses journées, c’est sur un ton nostalgique et emprunt d’une légère morosité que Dad lui répond. L’industrie du disque va mal, et ça n’est pas prêt de s’améliorer. C'est malheureux, c'est vrai. Mais ce sera aussi ces gens-là qui finiront par tuer les petits disquaires puis ensuite l'industrie avec le téléchargement.. Il opine du chef en levant les yeux au ciel. Les gens ont oublié à quel point c’était agréable de vivre quand on était obligé de se déplacer pour faire ses courses. Il dit en soupirant. Pas né au bon endroit, ni au bon moment. En perpétuel décalage avec le reste du monde, comme s’il n’existait qu’une fine barrière entre ce qu’il est et ce qu’il voudrait devenir. Mû par l’envie brusque de bouleverser un peu les choses, Dad lui propose de marcher jusqu’à l’eau. Oui. Certainement. Et ce contact, toujours.. quand leurs mains se frôlent. Comme si, brusquement, le temps s’arrêtait. Il ne cherche pas à comprendre, ni même à mettre un terme sur leur amitié. Dad se dit que c’est sans doute le prix d’une certaine intimité qu’il ne se voit pas franchir. Pas même avec Oliv’. Un jet d’eau salé lui éclabousse le visage, le sortant de ses réflexions. Il tourne le regard vers son camarade. M'dit pas que tu voulais juste être près de l'eau hen,  parce que c'est trop tard là.. et le voilà qu’il rigole, lui aussi. Un rire cristallin dont il ne se délecte qu’en de rares occasions. D’un mouvement de pied, il balance une gerbe d’eau sur Oliv’ en se mettant à courir. T’aurais jamais dû faire ça. Qu’il s’entend lui lancer alors que déjà, il se met à courir un peu plus vite.. jusqu’à avoir de l’eau à mi-mollet. Le temps est bon, clément, toujours quand ils sont ensemble.

Spoiler:

Et ça s'passe comme ça, d'un naturel presque affolant. Entre eux, ça ne se calcule même plus, ça se laisse simplement porter et vivre. Dad rigole, c'est rare, mais quand il est en présence d'Oliv', il se sent comme revivre, un peu. Comme si des couleurs éparses se posaient ça et là, dans ses iris pourtant si ternes au quotidien. Il sourit, plaisante, il court. L'eau lui arrive à hauteur des mollets maintenant, elle est légèrement froide et il tressaille quand son ami l'attrape par la main. La fraîcheur ? La proximité ? Dad ne sait pas trop ce qui soulève vraiment son coeur.. est-ce Olivander ? Attend ! J'vais t'le faire payer tu verras. Et il l'entraîne, déjà. Il se laisse faire, avec un plaisir non dissimulé. Quand bien même son corps se noie sous les eaux plus froide, Dad profite de l'instant. Ce qui peut paraître naturel relève pourtant du miracle lorsqu'il s'agit du jeune disquaire. D'un naturel plutôt éteint, presque sombre, c'est en présence de celui qu'il considère comme son meilleur ami que la flamme s'allume. Et l'eau salée ne l'éteindra pas. Ça rafraichit, non ? J'aurais peut-être dû prévoir des vêtements par contre. Dad rigole, à son tour J'avoue, mais ça fait du bien. Il dit, sans cesser de sourire. Leurs yeux se croisent, son coeur se soulève un peu. Il n'sait pas Dad, ce qu'il ressent exactement. Il sait juste qu'il est au bon endroit, quand Oliv' est près d'lui. Qu'ils sont liés, d'une manière que personne ne saurait vraiment décrire. J'crois que je t'ai un peu décoiffé. J'espère que tu m'en veux pas trop. Il sent la pression des mains sur ses cheveux et rigole un peu plus.. il finira par secouer son visage en remettant de l'ordre dans les fils d'or qui se dressent par-dessus sa tête J'te déteste, t'as pas idée. qu'il s'entend lui dire alors que l'instant se suspend. Dad aurait voulu répliquer mais Oliv' s'arrête net, la bouche en cul de poule. Bordel. silence, juste une seconde. J'crois que je l'ai tué. Il n'allume plus. Et son téléphone entre les mains, Dad se rapproche, l'observe. Il pose sa main sur l'écran éteint C'est un signe. il glisse doucement, relevant son visage vers celui de son ami Faut t'détacher de ces conneries et en r'venir à la réalité. Il rigole à peine, sans l'quitter des yeux. Il a envie d'lui crier que la réalité, c'est eux, rien d'autre, mais il n'ose pas.. il se contente de l'regarder, avec toute l'intensité du monde. Ils existent, là, sous ce soleil. Pourquoi vouloir toujours rester connecté aux autres, dans c'cas ?